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La faute dolosive en droit des assurances

La faute dolosive en droit des assurances est un manquement contractuel commis par l'assuré qui vise à annihiler l'aléa inhérent au contrat d'assurance de sorte que le risque devient inéluctable et donc non assurable.

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Le caractère aléatoire du contrat d'assurances

Le contrat d’assurance, bien que consensuel, est encadré selon les règles fixées au Code des assurances.

Il s’agit d’un contrat très règlementé en raison de la nature même de l’activité d’assurance, qui jouit d’un certain monopole avec des obligations d’assurance dans le but de protéger la Société.

Le contrat d’assurance était expressément cité à l’ancien article 1964 du code civil parmi les contrats aléatoires.

Il figurait même en tête d’une liste comprenant également le jeu, le pari et le contrat de rente viagère

L’ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations a abrogé cet article et ainsi la référence au contrat d’assurance en tant que contrat aléatoire.

Toutefois, selon la jurisprudence, l’aléa ne résulte pas d’une exigence textuelle mais relève de l’essence même de ce contrat (Civ. 1re, 11 oct. 1994, no 93-11.295).

L’assuré paie une prime fixe pour se voir garantir les conséquences d’un évènement futur et incertain qui pourrait survenir (le sinistre). C’est le caractère incertain qui rend au contrat d’assurance sa nature aléatoire (article 1108 nouveau du Code civil).

Mais si l’évènement est causé volontairement ou délibérément par l’assuré, le caractère aléatoire du contrat d’assurance s’efface.

L’assureur pourrait alors invoquer la faute dolosive pour dénier sa garantie.

Définition de la faute dolosive au sens du code des assurances

La faute dolosive, tout comme la faute intentionnelle, fait partie des causes légales d’exclusion de garantie (à la différence des clauses conventionnelles d’exclusion de garantie).
 
C’est l’article L.113-1 du Code des assurances qui les prévoit, sans donner de définition :
« l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. »
Mais « la faute intentionnelle » et la « faute dolosive », au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances, sont autonomes, chacune justifiant l’exclusion de garantie dès lors qu’elle fait perdre à l’opération d’assurance son caractère aléatoire (Civ. 2e, 25 oct. 2018, no 16-23.103).
 
La faute dolosive se caractériserait par la réunion de plusieurs éléments :
      • elle est commise de façon délibérée par l’assuré (Civ. 2e, 4 févr. 2016, n°15-10.363)
      • elle rend inéluctable la réalisation du dommage (Civ. 2e, 25 oct. 2018, no 16-23.103)
      • et elle entraîne la disparition de l’aléa (Civ. 2e, 20 mai 2020, no 19-11.538)

Un vaste débat s’est cependant ouvert autour de l’obligation, pour retenir la faute dolosive, de caractériser la conscience de l’assuré du caractère inéluctable des conséquences dommageables de sa faute délibérée.

L'évolution jurisprudentielle de la faute dolosive et la conscience de l'assuré des conséquences dommageables

L’article L. 113-3 du code des assurances distingue bien la faute intentionnelle de la faute dolosive.

Pourtant, cette dernière a longtemps vécu dans l’ombre de la première, alors qu’elles sont toutes eux bien différentes.

En effet, si la faute intentionnelle et la faute dolosive ont ceci de commun qu’elles suppriment l’aléa consubstantiel à l’assurance, la première implique la volonté de causer le dommage (tel qu’il est survenu), alors que la seconde repose sur une prise de risque rendant inévitable la réalisation du dommage.

C’est par un arrêt du 7 octobre 2008 que la Cour de cassation est venue détacher la faute dolosive de la faute intentionnelle.

Alors que le demandeur au pourvoi reprochait à la Cour d’appel de d’avoir retenu la faute dolosive sans caractériser pour l’assuré la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu (définition jurisprudentielle de la faute intentionnelle), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en précisant que cette volonté n’était pas requise au titre de la faute dolosive :

« Ayant souverainement retenu que la société X s’était volontairement abstenue d’exécuter les travaux […] sans ignorer que des désordres allaient apparaître très rapidement […] la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a pu en déduire que ces manquements délibérés constituaient une faute dolosive ayant pour effet de retirer aux contrats d’assurance leur caractère aléatoire » (Civ. 3e, 7 oct. 2008, n° 07-17.969).

Pour qualifier la faute dolosive, il fallait donc réunir deux éléments : un premier, subjectif, correspondant à un comportement délibéré de l’assuré contraire à ses obligations contractuelles, et un second, objectif, correspondant à la disparition de l’aléa.

Les conditions de qualification de la faute dolosive sont ainsi plus lâches que celles de la faute intentionnelle, puisqu’il n’est pas nécessaire de prouver que l’assuré avait voulu le dommage tel qu’il s’était produit, preuve au demeurant particulièrement délicate à établir s’agissant de la recherche a posteriori de l’intention de l’assuré.

C’est ainsi que la Cour de cassation a approuvé une Cour d’appel d’avoir retenu la faute dolosive en ayant caractérisé une faute de l’assuré justifiant l’exclusion de garantie en ce qu’elle faussait l’élément aléatoire attaché à la couverture du risque, sans avoir à caractériser si l’assuré avait recherché les conséquences dommageables qui en sont résultées (Civ. 2e, 12 sept. 2013, F-P+B, n° 12-24.650).

Peu importe donc la conscience ou non par l’assuré des dommages que sa faute engendreraient, la simple rupture de l’aléa suffisait à caractériser la faute dolosive.

Toutefois, opérant un certain revirement, la Cour de cassation s’est montrée moins souple sur la caractérisation d’une faute dolosive, en approuvant une Cour d’appel qui avait retenu que le dommage « était inévitable et ne pouvait pas être ignoré de l’incendiaire, même s’il était difficile d’en apprécier l’importance réelle et définitive » (Cass. 2ème civ. 20 mai 2020, n° 19-11.538).

Elle exige désormais de « caractériser la conscience que l’assurée avait du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son geste » (Cass. 2ème 20 janvier 2022, n°20-13.245).

Elle rappelle d’ailleurs que la faute dolosive s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, et non avec la seule conscience du risque d’occasionner le dommage (Cass. 2eme civ. 6 juillet 2023, n°21-24.833 et n°21-24.835).

Quelques exemples de fautes dolosives

L’effondrement d’une grange, survenu à la suite d’un défaut d’entretien et de travaux de consolidation qui s’avéraient urgents, ne pouvaient être pris en charge car:

  • une expertise avant son effondrement avait mis en garde l’assuré sur ce risque;
  • les victimes avaient mis en demeure l’assuré d’effectuer les travaux.

La Cour d’appel avait donc pu en déduire que l’assuré ne pouvait ignorer qu’en l’absence de travaux de consolidation, la couverture de sa partie de grange était vouée à un effondrement certain à brève échéance. En relevant que l’assuré était demeuré sans réaction, la cour d’appel, qui, dans l’exercice de son pouvoir souverain, a retenu que la persistance de l’assuré dans sa décision de ne pas entretenir la couverture de son immeuble manifestait son choix délibéré d’attendre l’effondrement de celle-ci, a pu en déduire qu’un tel choix, qui avait pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque, constituait une faute dolosive excluant la garantie de l’assureur (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 25 octobre 2018, 16-23.103).

Les moyens employés par l’assuré, en installant une cuisinière à gaz et deux bouteilles de gaz dans le séjour, « dépassaient très largement ce qui était nécessaire pour uniquement se suicider » et témoignaient de la volonté de provoquer une forte explosion et que si l’incendie n’avait pas pour motivation principale la destruction de matériels ou de tout ou partie de l’immeuble, celle-ci était inévitable et ne pouvait pas être ignorée de l’incendiaire, même s’il était difficile d’en apprécier l’importance réelle et définitive (Cass. 2ème civ. 20 mai 2020, n° 19-11.538).

 

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  • Dernière modification de la publication :10 octobre 2023