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Avocat MOUY

Le point de départ de la prescription de la responsabilité contre un notaire se situe au jour où la victime est en capacité d'agir

Par l'arrêt du 29 juin 2022, la Cour de cassation est venue redéfinir le point de départ de la prescription de l'action contre les Notaires à la suite d'un redressement fiscal pour l'uniformiser à celui qui régit désormais les experts-comptables (Cass. Civ. 1 29 juin 2022, n°21-10.720).

Les faits ayant généré l'action en responsabilité contre le Notaire

Il faut d’ores et déjà rappeler que la cession de fonds de commerce entraîne pour son cédant, une taxation au titre des plus-values.

Il en est de même des apports en société d’un fonds de commerce.

En effet, l’apport d’un bien (immeuble, titres, fonds de commerce…) réalisé par une entreprise est soumis au régime des plus-values professionnelles.

Un commerçant titulaire d’un fonds de commerce, souhaitait apporter celui-ci à une société nouvellement formée (afin d’optimiser très certainement son impôt sur le revenu).

Son expert-comptable a eu (la brillante?) idée de lui conseiller de ne pas apporter le fonds, mais de le soumettre à la location-gérance.

Ce système permettait ainsi au commerçant de percevoir des loyers, et à la société nouvellement créée d’exploiter le fonds et d’en percevoir totalement les fruits (soumis quant à eux à l’IS).

Etant gérant majoritaire de la société, le bénéfice fiscal restait conséquent puisqu’il percevait alors la majorité des dividendes.

Les actes d’apports ont été dressés par un Notaire le 3 avril 2001.

Toutefois, l’administration fiscale, particulièrement attentive, n’a pas manqué de relever l’anomalie du montage qui visait essentiellement à éluder la taxation sur les plus-values et à bénéficier d’un avantage fiscal (c’est typiquement la définition de l’abus de droit en droit fiscal).

Le 29 août 2007, l’administration lui notifie un redressement fiscal d’un montant de 66 960 € au titre de l’imposition des plus-values (le commerçant s’en sort pas trop mal car il conserve le montage pour l’optimisation de son impôt sur le revenu).

Le commerçant se défend face à l’administration fiscale, mais n’obtient pas gain de cause, puisque la Cour administrative d’appel confirme le redressement.

En mars 2016, il assigne donc le Notaire en responsabilité (et l’expert-comptable) pour le préjudice qu’il a subi du fait de ce redressement.

Les juridictions du fond déclarent prescrite l'action contre le Notaire

Il sera rappelé que la prescription d’une action en responsabilité est régie par l’article 2224 du Code civil qui prévoit que :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer. »

En l’espèce, les juridictions du fond (en première instance et en appel) ont estimé que le point de départ du délai de prescription a couru à compter de la lettre de redressement reçue le 29 août 2007 par laquelle l’administration fiscale a informé le commerçant redressé que la cession devait faire l’objet d’une imposition au titre des plus-values.

Cette conception du point de départ de la prescription est totalement conforme à la lettre de l’article 2224 du Code civil.

En effet, le point de départ se situe au jour où la prétendue victime a connaissance des faits lui permettant d’exercer l’action en responsabilité.

Attendre l’issue des recours revient à décaler le point de départ de la prescription au jour où le préjudice est définitivement établi.

Or, le préjudice devenu définitif n’est pas une condition posée par la loi, d’autant que la jurisprudence fait interdiction à la victime de minimiser son préjudice.

D’un point de vue juridique donc, la position des juges du fond était donc parfaitement conforme aux textes.

Il aurait donc fallu que le demandeur, dès la notification de redressement, intente une action en responsabilité contre l’expert-comptable et le Notaire, et sollicite le sursis à statuer dans l’attente de l’issue des recours qu’il exerçait en parallèle contre l’administration fiscale.

C’est du reste la position qu’exprimait durant des années la Cour de cassation :

 » la prescription d’une action en responsabilité ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance  » (Civ. 2ème, 13 mars 2008, n°07-12962)
 
Cependant, bien trop de praticiens ne se souciaient de l’action en responsabilité ultérieure à engager contre les professionnels qui avaient réalisé le montage litigieux, de sorte qu’une fois les recours exercés, ils se retrouvaient sans recours contre ces professionnels (leur action était alors prescrite).
 
Il fallait alors, pour le contribuable, engager une action en responsabilité de l’avocat qui l’avait assisté, pour lui avoir fait perdre une chance d’obtenir une indemnisation en n’ayant pas intenté de recours à l’encontre de ces professionnels.
 
Bref, la panacée…

La Cour de cassation fait une nouvelle fois glisser le point de départ de la prescription

Dans une logique de plus en plus assurantielle, la Cour de cassation a fait glisser le point de départ de la prescription en considérant que « la connaissance des faits » à la suite d’un redressement fiscal revient finalement au jour où celui-ci voit son recours être définitivement rejeté par l’administration fiscale ou par la juridiction saisie en cas de procédure.

La Cour de cassation établit donc que le point de départ de la prescription dans le cadre d’une action engagée en responsabilité à l’encontre de l’expert-comptable à la suite d’un redressement dont il fait l’objet, est fixé au jour où le dommage est définitivement réalisé (Cassation com 5 juillet 2016 n° 14-28.882).

Il peut donc s’agir de la notification de redressement lorsque celle-ci n’est pas contestée, ou alors de la décision administrative qui rejette définitivement la contestation formulée par le contribuable à l’encontre de cet avis de redressement.

En effet, c’est dans ces conditions que pour la Cour de cassation, le dommage est définitivement réalisé (Cassation commerciale, 6 décembre 2017 n° 16-23972).

Cette jurisprudence, désormais bien établie (bien que contraire à la lettre de l’article 2224 du Code civil), ne pouvait donc nécessairement que s’appliquer à l’égard des professionnels du droit.

La Cour de cassation rappelle donc, au visa de l’article 2224 du Code civil, que:

 » le dommage de M. [E] ne s’était réalisé que le 7 janvier 2014, date de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté son recours et constituant le point de départ du délai de prescription quinquennal  » (Cass. Civ. 1 29 juin 2022)

Je ne sais pas vous, mais moi je n’ai jamais lu « le dommage » dans l’article 2224 du Code civil…