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Avocat MOUY

La responsabilité pour trouble anormal de voisinage est une responsabilité de plein droit : donc seul l'actuel propriétaire du fond est responsable à l'égard de son voisin

La Cour de cassation a rappelé le caractère totalement objectif de l'action fondée sur la responsabilité pour trouble anormal du voisinage (Cass. 3e civ., 16 mars 2022, n°18-23954)

Bref rappel des faits ayant amené à une action pour trouble anormal du voisinage

Un couple, assuré auprès de la compagnie d’assurances AXA, acquiert une maison le 26 janvier 2007.

Peu après la vente, la voisine se plaint d’importantes infiltrations d’eau provenant de la propriété nouvellement acquise.

Elle estime que l’importance de ces infiltrations constitue l’anormalité requise pour fonder une future action pour trouble anormal de voisinage.

Elle assigne donc le couple aux fins de procéder à une expertise judiciaire, préalable indispensable pour préparer son futur procès.

Durant les opérations d’expertise, il est révélé que les infiltrations, effectivement constatées, proviennent de « conduites fuyardes dont les premiers désordres remontaient à 1997 et 2005« .

Le couple acquéreur appelle donc à la cause leur assureur, et leur vendeur.

Puisque les premiers désordres remontent bien avant leur acquisition, il estime que leurs vendeurs doivent être tenus seuls responsables de la réparation du dommage.

Bref rappel de la procédure ayant abouti à la condamnation du propriétaire pour trouble anormal du voisinage

Le couple a été condamné en première instance, décision confirmée par la cour d’appel qui a été saisie.

Elle a en effet jugé que la responsabilité pour trouble anormal de voisinage est une responsabilité de plein droit, objective.

Cela revient à dire qu’il n’est pas nécessaire de démontrer une quelconque faute, seul un trouble anormal fait naître cette responsabilité, qui est imputable au seul propriétaire du fonds litigieux.

Elle rappelle « que les premiers juges ont exactement relevé que les désordres constatés dans la propriété dont Mme Z a l’usufruit, qui consistent en des fissurations, un affaissement du bâtiment et un basculement du mur de clôture, excèdent les inconvénients normaux du voisinage », ce dont elle a conclu « que le trouble dont est victime Mme Z provient donc bien, pour la plus grande partie, du fonds voisin ; » et que « comme l’a dit le tribunal, il importe peu que M. et Mme F n’aient pas été propriétaires de ce fonds lorsque les infiltrations ont commencé à se produire, dès lors qu’ils sont actuellement propriétaires de ce fonds, que le trouble subsiste et qu’ils sont seuls à pouvoir y mettre fin ;« 

Cherchant à minimiser leur responsabilité par le mauvais entretien de la parcelle voisine, victime du trouble, la Cour balaie également l’argument en précisant « que les fuites sur les réseaux de distribution ou d’évacuation des eaux du pavillon de Mme Z d’une part, la médiocre qualité des ouvrages édifiés sur le fonds de Mme Z d’autre part, ne constituent pas, pour M. et Mme F, une cause d’exonération totale de leur responsabilité de plein droit dès lors que les infiltrations provenant de leur propriété sont, principalement, à l’origine des désordres ».

Les acquéreurs ainsi déclarés responsables se sont pourvus en cassation, soutenant notamment que « le vendeur est responsable du trouble anormal de voisinage causé par l’immeuble vendu avant la cession » et qu’en imputant aux seuls acquéreurs la responsabilité pour des troubles dont il était constaté que l’origine remontait à une date antérieure à la vente, la cour d’appel aurait violé le principe en vertu duquel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage.

La position de la Cour de cassation confirmant la condamnation du propriétaire actuel pour trouble anormal de voisinage

La Cour de cassation aura alors l’occasion de rappeler dans son arrêt du 16 mars 2022 (n°18-23954) que :

« L’action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit.« 

Ainsi donc, dès lors que le trouble subsiste au jour de l’assignation, c’est le propriétaire actuel qui peut être recherché.

La Cour de cassation avait déjà jugé que « l’action fondée sur un trouble anormal du voisinage constitue, non une action réelle immobilière, mais une action en responsabilité civile extracontractuelle qui peut être dirigée contre tout voisin auteur des nuisances, quel que soit son titre d’occupation » (Cass. 3e civ., 20 mai 2021, n° 20-11926).

Cette qualification d’action en responsabilité civile détachée de toute attache réelle avait permis d’élargir le cercle des défendeurs à l’action, au-delà des propriétaires, à tout occupant.

Elle retient ainsi que le défendeur peut être « tout voisin auteur des nuisances, quel que soit son titre d’occupation ».

Les praticiens en sont heureux, car rechercher la nouvelle adresse des anciens occupants pour pouvoir les assigner n’est pas chose facile, et les assigner au dernier domicile connu ne rend pas facile ensuite le paiement des condamnations survenues (et surtout, n’aurait pas permis de résoudre le trouble, les précédents propriétaires n’ayant plus ni qualité ni pouvoir à agir sur le bien qui ne leur appartient plus).

On rappellera que dans un cas similaire, les acquéreurs disposent, dans le délai de 2 ans à compter de la découverte du vice, d’une action récursoire contre les vendeurs en garantie des vices cachés, à condition de démontrer que le vice affectait l’usage normal du bien.